Archive des chroniques "Cybernotes de Bertrand Salvas", telles que publiées dans le magazine "Entracte"
de la Chambre des notaires du Québec et autres contributions en droit des technologies de l'information.

Octobre 2002 >>> Pas de recherche pour les chinois, pas de brevet pour les anglais!

Je ne sais pas si je vieillis mal, mais on dirait que la bêtise humaine m’atteint de plus en plus. Moi qui ai toujours cru que le droit devait être au service des hommes, pas le contraire, je me désole en constatant que le bon vieux « gros bon sens » n’a plus la cote dans notre société. Le ridicule ne tue pas il paraît... c’est parfois dommage. Mais ne désespérons pas... Amis du sens commun, réjouissez-vous. On dirait que nous ne sommes pas seuls.

Dans le cadre de mes chroniques Cyberespace dans la revue National[i], j’abordais au printemps dernier la question de l’affreuse tendance à tout breveter ayant actuellement cours. Amazon.com, qui breveta l’achat en ligne, a lancé un bal qui risque de paralyser, ou au moins de ralentir, le développement technologique. Certaines demandes me rappellent ce comédien des années ’70 qui voulut s’approprier par droit d’auteur l’expression populaire « j’ai mon voyage » parce qu’il l’employait souvent en spectacle[ii]. S’il vous plaît... Je plaidais donc pour la recherche d’un équilibre entre les intérêts particuliers des vrais inventeurs et l’intérêt commun de nos sociétés qui misent de plus en plus sur les technologies.

Je citais alors en exemple l’affaire British Telecom qui tentait d’opposer un de ses brevets dans années quatre-vingt sur une technologie s’apparentant au lien hypertexte. Pour elle, le simple fait, sur le Web, de cliquer sur une image ou un bout de texte pour activer un lien lui donnerait droit à une royauté. Les millions de liens hypertexte par jour actionnés quotidiennement par les trois millions et demi d’usagers de Prodigy[iii] avaient donc justifié BT de poursuivre cette compagnie pour une montagne de dollars.

Ils sont fous ces anglais...

Toujours est-il que j’apprenais cette semaine que la demande de British Telecom avait été rejetée par les tribunaux américains. Il faut dire que l’action de BT avait provoqué un tollé dans les milieux concernés, avec raison car elle aurait pu provoquer des changements majeurs dans le fonctionnement du réseau. Le   juge a finalement conclu que la technologie de « page cachée » qu’invoquait BT, conçue pour fonctionner sur un réseau fermé, n’avait rien à voir avec les liens hypertexte qui animent le Web. Espérons que cette défaite calmera un peu les ardeurs de nos collègues qui brevettent plus vite que leur ombre... En attendant, allez et cliquez en paix. Vous ne ferez pas sauter la banque.

Puis-je avoir votre autographe? Non!!

Nous avons tous reçu récemment un communiqué[iv] de la Chambre des notaires  nous informant de modifications importantes au code de déontologie. La mention de la survie de l’incompatibilité des professions d’avocat et de notaire m’a rappelé avec amusement qu’à l’époque de mes études en notariat la prêtrise nous était également interdite. (Cette interdiction était bien inutile pour moi, certains vœux rattachés à cet état constituant des barrières bien plus efficaces pour éloigner de la soutane le jeune homme que j’étais...) Blague à part, ces ajustements à nos règles déontologiques sont un signe des temps, car en plus de nettoyer cette liste d’incompatibilités traditionnelles et de paver la voie aux sociétés multidisciplinaires, nous voyons s’y glisser une disposition relative à la signature électronique: « L’article 41 interdit au notaire de divulguer à quiconque sa signature numérique. »

Tous connaissent les conséquences potentiellement désastreuses que pourrait avoir à endurer le malheureux qui verrait sa signature manuscrite forgée. Il pourrait se retrouver de ce fait partie à des ententes qui lui sont étrangères ou encore se faire imposer le paiement de produits et services non-désirés. Il pourrait avoir à prouver que la signature n’est pas la sienne afin de se dégager des conséquences du consentement qu’elle constate (2827 C.c.Q.).

Mais la portée même de la signature est beaucoup plus large dans l’univers numérique, puisque la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information[v] permet qu’on l’utilise pour identifier son titulaire et pour établir un lien entre une personne et un document (art. 39). Les conséquences d’un usage non-autorisé de la signature peuvent être énormes.

Pas convaincus? Alors sachez que l’article 57 incite le titulaire à protéger la confidentialité de sa signature de manière encore plus efficace, en créant une présomption que « toute utilisation est présumée faite par lui » (le titulaire). Parlez-moi d’un chèque en blanc royal! Respecter la norme déontologique n’est finalement qu’un moindre mal pour les notaires, eu égard aux ennuis que cette présomption peut multiplier. Un notaire averti en vaut deux : gare à vos signatures !

Pas d’baillon dans mon salon !

Tout commence lorsque les internautes chinois se rendent compte que lorsqu’ils tentent d’accéder au moteur de recherche par excellence du Web, Google[vi], ils se retrouvent dirigés vers sites de recherche tout aussi chinois qu’obscurs et peu efficaces. Où est donc passé Google? Scandale ! Qui donc s’amuse avec les serveurs de noms de domaine et les adresse IP? La Chine serait-elle la proie des hackers? Est-ce un autre coup de mafiaboy? Pas du tout, c’est tout simplement le gouvernement chinois qui a décidé de détourner ses concitoyens du moteur de recherche américain en modifiant l’adressage des sites opéré par sa compagnie de télécommunications nationale.

«La recherche? C’est du chinois !!! »

Pourquoi cibler Google? Tout simplement parce qu’il conserve en mémoire les versions antérieures des pages qu’il répertorie. Cette pratique, qui pose par ailleurs d’autres problèmes lorsque des pages DOIVENT être retirées pour des raisons valables, déplait sérieusement à un régime qui ferme presque quotidiennement les sites Web de ses adversaires politiques. Nous pouvons donc présumer des motifs de la décision...

Une autre confirmation de l’absence de démocratie en Chine, n’est-ce pas? Et bien détrompez-vous et tombez, avec moi, en bas de votre chaise. Car cette re-direction a fait long feu et les chinois ont retrouvé Google quelque jours plus tard suite à une marée de protestations formulées, notamment, sur les groupes de discussion chinois. Même les sites vers lesquels le flot d’internautes détourné de chez Google affichaient des messages se dissociant du geste étatique, certains allant carrément jusqu’à le condamner ouvertement.

Le Web peut être perçu de bien des façons, du centre commercial à l’antre de Big Brother. Mais même avec ses défauts, il faut bien admettre qu’il permet des levées de boucliers si rapides et si féroces que même les régimes les plus endurcis finissent par s’incliner devant la volonté populaire.

À la prochaine!


[i] De l’association du barreau canadien (ABC)

[ii] Il s’agit bien sûr de Gérard Vermette. L’étendue de ma culture ne cessera jamais de m’étonner...

[iii] http://myhome.prodigy.net/

[iv] en date du 10 septembre 2002

[v] L_Q_ 2001, c_ 32 ; Texte annoté par article : http://www.autoroute.gouv.qc.ca/loi_en_ligne/loi/texteloi.html

[vi] http://www.google.com

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