Archive des chroniques "Cybernotes de Bertrand Salvas", telles que publiées dans le magazine "Entracte"
de la Chambre des notaires du Québec et autres contributions en droit des technologies de l'information.

Avril 2004 >>> Avoir les nouvelles technologies dans la peau !

Une nouvelle[i] inquiétante m’est passée sous le nez il y a quelques temps. Une compagnie américaine, Applied digital solutions[ii], a mis au point un dispositif permettant d’identifier de façon simple et définitive un individu dans le cadre de certaines transactions électroniques.

Avec ce gadget, il deviendra quasi impossible d’utiliser la carte de crédit de quelqu’un d’autre ou de détourner une carte bancaire. Seul le véritable titulaire pourra procéder à ces transactions, un procédé technologique empêchant quiconque d’autre de se substituer à lui. Un peu comme le système de porte-clé « speedpass »[iii] offert par quelques pétrolières, le système identifiera son propriétaire en réagissant aux ondes émises par les appareils de paiement électronique en émettant lui-même une clé électronique unique de 64 bits. Mais où sera donc l’émetteur- récepteur ? Mais voyons, c’est tout simple ! Sur une puce électronique implantée de façon permanente dans votre corps[iv].

De la taille d’un demi-grain de sable, la puce passera complètement inaperçue. Ne vous inquiétez pas, vous oublierez bien vite que vous la trimbalez sous votre peau ! Imaginez le niveau de sécurité qui entourera les transactions électroniques futures quand tout le monde sera ainsi fiché dans une base de données, et identifié par des puces électroniques !

Suis-je d’accord ? Bien sûr que non ! Les systèmes fondés sur la technologie RFID[v] sont d’un certain intérêt. Certains se logent dans votre clé de voiture et participent au déverrouillage des portières. D’autres, sur des passes plastifiées, régissent l’accès à certains immeubles. Des puces électroniques reliées au réseau GPS, implantées sous la peau de votre toutou, peuvent même vous aider à le retrouver s’il est perdu ! Mais implanter des puces sur un être humain ? Pourquoi pas se faire tatouer un code à barres un « coup parti » ?

Il y a quelques années, j’ai fait partie de l’équipe mise sur pied par la Chambre des notaires pour réviser l’avant-projet de loi québécois sur les technologies de l’information. Finalement adoptée et mise en vigueur en 2001, la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l\'information[vi] visait à fournir certaines réponses aux questions soulevées par l’usage grandissant des technologies de l’information dans la poursuite de nos affaires quotidiennes[vii]. L’équipe de révision avait alors souligné ses inquiétudes face à de tels dispositifs et, mis à part quelques ajustements de texte, se félicitait que le législateur québécois ait abordé la question. La loi 161 stipule ainsi :

43.       Nul ne peut exiger que l\'identité d\'une personne soit établie au moyen d\'un procédé ou d\'un dispositif qui porte atteinte à son intégrité physique. À moins que la loi le prévoit expressément en vue de protéger la santé des personnes ou la sécurité publique, nul ne peut exiger qu\'une personne soit liée à un dispositif qui permet de savoir où elle se trouve.

C’est une bonne chose que cet article vienne aujourd’hui contenir le délire de ces entreprises, car la puissante MasterCard ne rejette pas à prime abord l’idée d’implanter des puces RFID sur les humains, même si elle déclare vouloir se limiter à les installer au départ aux stylos ou aux boucles d’oreilles. La mode du « piercing » s’étendra-t-elle de ce fait au monde des gens d’affaires ? Ce serait déjà un moindre mal que d’implanter les émetteurs dans notre chair. Surtout que le procédé n’offre même pas toutes les garanties de sécurité auxquelles on pourrait s’attendre d’un engin aussi machiavélique.

En effet, si l’implantation « in carne » élimine le risque de perte ou de vol du dispositif, rien n’empêcherait une personne malveillante de recueillir à l’aide d’un ordinateur les données d’identification émises par ondes radio et de les réutiliser à des fins frauduleuses. Pis encore, un fraudeur un peu moins raffiné pourrait bien partir à la recherche de votre puce au moyen de quelques outils peu inspirants…

Nous sommes encore moins rassurés de constater que la compagnie qui développe cette technologie ne répond à ces craintes qu’en disant simplement qu’elle est sensibilisée à la question de la protection vie privée. Pour eux, le fait de pouvoir en tout temps demander à un médecin de retirer la puce constitue une garantie suffisante pour les individus. Il n’y pas si longtemps, il ne fallait qu’un appel téléphonique pour désactiver une carte de crédit perdue ou volée. Peut-être faudra-t-il un jour aller à l’urgence pour se libérer d’une puce dont le code aurait été détourné. Le porte-parole de « Applied digital solutions » précise d’ailleurs que la compagnie ne recommande pas aux usagers d’enlever eux-mêmes leur puce ! Vraiment ? Quelle bonne idée ! Je m’imaginais déjà partir à sa recherche dans ma cuisine, armé d’un économe et d’un couteau à éplucher. Dommage !

Finalement, la seule bonne nouvelle est que les actions de cette compagnie sont en chute libre. Souhaitons qu’elles ne remontent pas trop.

Au commencement, était le verbe…

Pas facile pour un francophone de se retrouver en matière de technologies de l’information… Non seulement les machines et les logiciels sont principalement de facture américaine mais, par- dessus le marché, la culture du Web s’est développée principalement chez l’oncle Sam. Sa terminologie sans cesse augmentée regorge de termes anglais pour désigner les appareils, les logiciels et les fonctions qu’ils introduisent.

Quant aux programmeurs, même s’ils ne sont pas américains ou anglophones, ils seront portés à baptiser leurs produits dans la langue de Shakespeare afin de leur donner de meilleures chances de percer le lucratif marché américain. Le monde du Web vit et respire en anglais. Le pauvre usager francophone a donc le choix entre baisser les bras en n’utilisant que des termes étrangers à sa langue, et continuellement nager à contre-courant en recherchant inlassablement le mot juste en français pour s’adapter aux dernières nouveautés.

Il faut saluer les efforts réalisés dans ce domaine, notamment par l’Office de la langue française. Si certaines traductions sont devenues célèbres, comme « courriel » et « pourriel », certaines autres comme « dans Internet » tiennent moins bien la route sur l’autoroute de l’information. Qui ne risque rien n’a rien… Mais le Web francophone, certes plus vigoureux maintenant, nous surprend souvent aussi avec des solutions de son cru. On voit ainsi de plus en plus apparaître le terme « courrieller » pour désigner l’envoi d’un message électronique. Ce nouveau verbe dérivé du mot « courriel » permet donc d’écrire sur sa page Web « courriellez-nous! » pour inviter les usagers à nous écrire, ce qui est certes plus précis que « contactez-nous » et plus proche du désormais célèbre « email us! ». Voilà certes un terme promis à un brillant avenir ! Donc, si vous avez des questions ou des commentaires, courriellez-moi !

À la prochaine !



[i] "Chip implant gets cash under your skin", Declan McCullagh, CNET News.com, 25 novembre 2003

[ii]http://www.adsx.com/

[iii] http://www.limperiale.ca/Canada-Francais/Products/Speedpass/PS_S_SpeedpassHomePage.asp

[iv] https://gvsregistry.4verichip.com/index.htm

[v] Radio Frequency Identification, http://www.aimglobal.org/technologies/rfid/

[vi]L.Q. 2001, c. 32, http://www.autoroute.gouv.qc.ca/loi_en_ligne/index.html

[vii]Nous avons à l’époque effleuré la question dans deux articles consacrés à cette loi dite « 161 », publiés dans les éditions d’Entracte de décembre 2001 et de février 2002. Des études plus approfondies ont depuis été produites, notamment celle de Me Vincent Gautrais : « Les contrats électroniques au regard de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information » compris dans le recueil « Droit du commerce électronique » Vincent GAUTRAIS (dir.), Montréal, Éditions Thémis, 2002, 709 p.

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