Archive des chroniques "Cybernotes de Bertrand Salvas", telles que publiées dans le magazine "Entracte"
de la Chambre des notaires du Québec et autres contributions en droit des technologies de l'information.

Avril 2001 >>> Tu me vends ton sac de vent contre une poignée de rien?

Les technologies de l’information provoquent la conversion de presque toutes les activités humaines au format numérique. Nous avons déjà vu que ce phénomène de convergence entraîne toutes sortes de conséquences en matière de propriété intellectuelle. Un autre effet de ce phénomène réside dans une certaine dématérialisation des échanges, car il devient possible d’acquérir un bien sans avoir à acquérir l’objet physique sur lequel il était traditionnellement logé. Je vous ai déjà cité John Perry Barlow, penseur autoproclamé du Web. S’il est parfois contesté (c’est le propre des penseurs) il a au moins le talent certain de savoir trouver la phrase choc pour décrire une situation. C’est donc lui qui utilisa l’expression « selling wine without the bottle » [i]pour illustrer le commerce, alors simplement projeté, d’œuvres musicales sur le Web. Avant même l’arrivée de Napster, cette phrase nous faisait comprendre en des mots simples comment une œuvre pourrait s’échanger sans que les acquéreurs n’aient à acquérir la propriété d’un disque ou d’une cassette où elle serait enregistrée.

Mais à bien y penser, cette logique s’applique à toutes les activités ayant cours sur le Web. Acheter un logiciel en ligne par exemple. Vous téléchargerez un produit immatériel, paierez la note sans écrire ni signer de chèque, recevrez livraison immédiatement sans signer le calepin du livreur et commencerez à utiliser votre bien sans avoir eu à ouvrir d’emballage. Il y aura pourtant bien eu acheteur, vendeur, produit, paiement, livraison et consommation.

Nous savons aussi que plusieurs États, conscients des dangers d’une telle dématérialisation, ont voulu légiférer pour encadrer les différentes facettes du problème comme les signatures électroniques, les paiements électroniques, la preuve de telles opérations, etc.

Au Québec, le législateur a adopté une voie différente. du « Projet de loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information »[ii].  Même si son étude a été suspendue et que le récent remaniement ministériel l’a vu confié à un nouveau ministre, nous demeurons persuadé que sa pertinence et son importance feront en sorte qu’il sera adopté avant longtemps. Ce léger délai ne pourrait d’ailleurs que permettre de lui apporter quelques ajustements de dernière minute.

Le principal mérite du projet de loi est qu’il englobe le sujet plutôt que d’essayer de régler les problèmes à la pièce. Ainsi, la loi adopte des principes généraux qui serviront à interpréter et adapter les dispositions des autres lois québécoises. Comme il remanie et adapte plusieurs notions en matière de preuve, de signature, de responsabilité, etc, ce projet de loi 161 constitue la plus importante modification à notre droit civil depuis l’adoption du « nouveau Code ». Dans l’ensemble donc, et malgré quelques imprécisions qui subsistent encore, le projet est très satisfaisant.

Mais sa grande originalité est qu’il opère une scission entre le document et le support qui le porte. Le document sera donc légalement indépendant de la feuille de papier, de la disquette ou du réseau sur lequel il est consigné et conservé. Il pourra alors être reproduit sur plusieurs supports, ou se déplacer librement de l’un à l’autre, sans perdre sa valeur juridique à condition que les règles stipulées par la loi quant à la préservation de l’information soient respectées et que les conditions imposées par les autres lois qui lui sont applicables, Code civil compris, le soient aussi. Ce qui importe est la fonction remplie par le document, pas le support sur lequel il est conservé. Le projet de loi encadre aussi les modes requis pour relier un document à une personne, vous aurez compris que nous parlons ici de signature et de certification, et consacre également la formation d’un comité multidisciplinaire qui viendra examiner certains outils technologiques et approuver leur utilisation à certaines fins prévues par la Loi.

L’intérêt de ces dispositions pour le notaire, et pour le notariat électronique de demain, est tout à fait critique. Je vous suggère de prendre connaissance du texte de ce projet de loi qui saura certainement vous intéresser.[iii] Ne soyez cependant pas surpris si plus d’une lecture vous était nécessaire... Malgré les efforts de vulgarisation prodigieux de ses auteurs et la cure d’allégement tout à fait spectaculaire que le projet a subi depuis la sortie de ses premières moutures, il demeure que son sujet est technique et peut être difficile d’approche.

Il est cependant tout à fait essentiel de le connaître et, encore plus, qu’il soit adopté. Le Québec a misé une grande partie de son développement économique sur le développement de son secteur technologique. Il serait décevant, pour ne pas dire scandaleux, qu’il ne se dote pas d’une loi pour en préciser le cadre juridique. Le temps court à la vitesse de l’éclair en ce domaine, et chaque semaine ou presque voit l’adoption par un autre pays d’une loi sur la signature ou la preuve électronique. Je ne crois pas qu’il faille légiférer coûte que coûte. Mais nos légistes québécois ont innové en abordant la question de façon innovatrice pour créer un outil audacieux et original. Il serait dommage de voir une telle loi pourrir sur une tablette. Personnellement, je commence à avoir hâte d’en parler plus en détails, alors adoptez-la s.v.p.!

Napster et ses ouailles

La saga Napster tourne au roman-savon.  Vous avez certainement entendu la nouvelle à l’effet que l’injonction contre la compagnie a finalement été émise, la forçant à bloquer l’échange de tous les fichiers musicaux sur lesquels les droits d’auteur n’auront pas été réglés. Plus vite dit que fait. L’originalité du système Napster était de permettre aux utilisateurs du logiciel d’avoir accès aux fichiers MP3 logés sur les disques-durs de tous les autres usagers du systèmes qui se retrouvent en ligne à un moment précis. Autrement dit en vous connectant, vous acceptez que Pierre, Jean, et même Jacques, viennent se servir dans vos fichiers en échange d’un droit d’accès aux leurs. La popularité de ce système a été tellement grande que son usage a été banni dans plusieurs Universités américaines : les échanges de fichiers sapaient littéralement toutes les ressources des réseaux informatiques. C’est vous dire...

Napster devra donc trouver une façon de placer un filtre au milieu de ces milliers d’échanges de données simultanés pour repérer les fichiers identifiés comme illégaux par l’industrie du disque et empêcher leur transmission. L’établissement même de cette liste de fichiers maudits ne sera pas une mince affaire, car il peut exister des centaines de versions MP3 d’une chanson donnée, baptisés de toutes sortes de noms possibles et impossibles, même chiffrés. Cette liste noire compterait plus de 135000 titres représentant plus de 10,6 millions de fichiers. Vous avez bien lu. Sans compter que les usagers les plus endurcis de ce réseau de contrebande numérique disposent déjà de logiciels conçus pour déjouer le filtrage. [iv]Je ne parierais pas un « vieux deux » sur les chances de réussite de cette opération. Mais je parierais bien contre, s’il y a des volontaires bien sûr...

Se tourner la langue sept fois avant de ... taper.

Il nous arrive tous de trop parler. C’est tout à fait humain. Si la faute n’est pas trop grave, il reste possible de réparer les pots cassés, de discuter, de s’excuser, et de passer à autre chose...  L’humain a heureusement souvent la mémoire assez courte et finira par oublier un écart de conduite, s’il est dénué de malice bien sûr. Nous sommes donc assez justifiés de laisser libre cours à l’expression de nos opinions en cercles privés, sans avoir peur de se faire plus tard remettre sur le nez un jugement un peu trop expéditif ou un commentaire politiquement incorrect.

La prudence est cependant de mise lorsque ces échanges se font dans le cyberespace, par le biais du courriel ou, encore pire, de systèmes de « chat » (clavardage). C’est ce qu’a appris à ses dépens le PDG de la compagnie Efront[v] qui s’était permis de beurrer généreusement collègues et employés lors de ses sessions de clavardage sur le système ICQ[vi]. Ceux qui connaissent ce système savent déjà qu’il permet de savoir en temps réel si l’un ou l’autre de nos amis se retrouvent en même temps que nous sur le Web pour échanger avec eux ce qui, en plus d’en amuser plusieurs, est très utile pour contacter des collègues sans quitter son poste de travail.

J’ai donné ma langue au « chat », et il l’a gardée!

Notre ami de chez Efront a cependant été la victime de pirates informatiques qui ont retracé et copié des milliers de messages ICQ conservés dans ses archives de discussion ICQ pour les rendre publics sur le Web[vii]. Certains contenaient des commentaires pas toujours obligeants sur des employés, mais aussi sur des stratégies commerciales, des concurrents, la planification d’un congédiement, etc. Ces archives emplissent des pages Web entières[viii].

Vous comprendrez l’émoi provoqué par cette indiscrétion : actions en justice pour faire retirer le contenu subtilisé, démission du président demandée et promptement refusée, enquêtes, pagaille médiatique généralisée, mises en demeures d’employés salis en public, etc. Les ordinateurs ont la mémoire longue, mieux vaut ne pas l’oublier... Ici plus que jamais, les paroles s’envolent et les écrits restent.[ix]

La collection printemps

Vous aurez remarqué ce mois-ci un changement de cap dans ma chronique. Grand ménage du printemps? Toujours est-il que je tenterai dorénavant de vous présenter plusieurs courts sujets à chaque mois, histoire de soutenir votre intérêt. La formule vous plaît? Vous avez des questions, commentaires ou suggestions? Faites-moi signe! C’est toujours un plaisir de vous lire.

 À la prochaine!


[i] http://www.eff.org/pub/Publications/John_Perry_Barlow/HTML/idea_economy_article.html

[ii] http://www.autoroute.gouv.qc.ca/projet-loi/  Nous avons déjà effleuré le sujet par le passé.

[iii] http://www.assnat.qc.ca/archives-36leg1se/fra/Publications/projets-loi/publics/00-f161.htm

[iv] http://www.napigator.com/

[v] http://www.efront.com/

[vi] www.icq.com prononcé « I seek you ».

[vii] Sur certains sites qui collectionnent de telles rumeurs comme http://www.fuckedcompany.com/

[viii] Pour les curieux : http://www.echostation.com/efront/

[ix] Pour en savoir plus : http://www.mmedium.com/cgi-bin/nouvelles.cgi?Id=5255 OU http://news.cnet.com/news/0-1005-200-5148422.html?tag=st.cn.1.lthd

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