Archive des chroniques "Cybernotes de Bertrand Salvas", telles que publiées dans le magazine "Entracte"
de la Chambre des notaires du Québec et autres contributions en droit des technologies de l'information.

Février 2005 >>> Sorcières, à vos balais !

Assistons-nous à une nouvelle chasse aux sorcières sur le Web ?

L’été dernier, on a reconstruit une partie du mur de Berlin. Le saviez-vous ? C’est pourtant vrai ! La reconstruction n’était que partielle, et temporaire par-dessus le marché, faisant partie d’une exposition consacrée à la belle époque des pays de l’est et du rideau de fer. Le temps passe vite et l’atmosphère s’est bien réchauffée depuis la guerre froide. À l’époque pourtant, se faire traiter de communiste était une grave insulte, surtout chez nos voisins du Sud qui ont enfermé, emprisonné et même électrocuté certains de leurs compatriotes pour bien moins que ça. Alors, si vous avez par hasard congelé un républicain texan des années 50, ne le décongelez pas tout de suite, car il risquerait la syncope en se retrouvant face à un de ses nombreux compatriotes qui portent le t-shirt rouge affirmant fièrement leur soutien au mouvement du Creative Commons [i].

Le grain de sel de Bill

La controverse découle d’une remarque d’un certain Bill Gates sur l’épineuse question du droit d’auteur. Appelé à se prononcer sur la pertinence d’une réforme en ce domaine, notre ami a tout bonnement qualifié de communistes des temps modernes les tenants d’une ligne plus libérale au niveau de la protection des droits intellectuels. La riposte est venue du côté des mouvements du logiciel libre, particulièrement du Creative Commons qui ont corrigé l’oncle Bill en s’affichant ouvertement plutôt comme des « commonists ». Évidemment, dans les jours suivants, la faune du Web récupérait l’incident en distribuant des t-shirts rouge au design néo-stalinien aux « commonistes » intéressés à afficher leur point de vue.


 L’anecdote est amusante, mais illustre bien le fossé de plus en plus profond qui sépare les propriétaires de droits intellectuels des créateurs de la nouvelle génération. Le sujet du droit d’auteur comporte en effet d’autres facettes que celle bien connue du piratage des films et pièces musicales. Nous avons déjà traité du frein que l’application exagérée du droit de la propriété intellectuelle pouvait appliquer au développement technologique, en soulignant par exemple les répercussions négatives pour le développement du Web de la tentative d’Hewlett Packard de faire breveter le lien hypertexte [ii]. Il est important de protéger les créateurs, mais il ne faut pas exagérer !

Nous avons aussi déjà effleuré, à l’occasion, le sujet du logiciel libre dont est issu des applications pouvant maintenant se comparer avantageusement aux produits commerciaux les plus populaires. Système d’exploitation Linux, navigateur Firefox de Mozilla, suite bureautique Open Office, ne sont que les exemples les plus connus de ces logiciels fondés et élaborés sur licence GPL (General Public Licence [iii]) autorisant tant l’usage gratuit du produit que l’accès au code source et la participation au développement aux programmeurs que la chose intéresse. Ces produits, marginaux il y a quelques années, ont tellement évolué et gagné en popularité qu’ils viennent maintenant jouer dans la cour des grands. Dérangeant…

Cette nouvelle donne n’a rien pour inciter les grandes entreprises à supporter un assouplissement des règles de la propriété intellectuelle dont les brevets les abritent des assauts de la nouvelle génération de programmeurs qui ont une vision moins corporative et plus participative du développement technologique. IBM fait exception à cette règle, puisqu’elle a déjà affirmé son soutien à la plate-forme Linux et ouvrait récemment l’accès au code source de cinq cent de ses logiciels brevetés aux développeurs de logiciels libres [iv]. La vengeance doit être douce au cœur de BigBlue, où on se souvient toujours du coup pendable de Microsoft qui stimula, au début des années 80, le marché des clones PC en vendant librement aux manufacturiers le système d’opération DOS initialement développé pour IBM. Mais passons…

Encore un coup des communistes ?

L’anecdote des communistes et du t-shirt aura au moins permis au mouvement du Creative Commons de bénéficier d’une publicité inespérée. Logé à la Faculté de droit de l’Université Stanford, ce mouvement, fondé en 2001, cherche à appliquer à d’autres produits de création les principes de la licence GPL utilisée par les développeurs de logiciels libres. Œuvres littéraires ou musicales, sites Web ou matériel pédagogique, peuvent donc adopter et afficher gratuitement les licences type élaborés par les juristes du Creative Commons sous la direction de son président, Lawrence Lessig [v]. Elles permettront en gros la réutilisation ou l’usage de tout ou partie de l’œuvre visée pourvu que le nom du créateur soit déclaré. Les auteurs et créateurs souhaitant donc voir leur œuvre bénéficier au public tout en préservant en partie leur droit de création pourront utiliser l’une ou l’autre de ces licences ou s’inspirer de leurs principes. [vi]

« La Wikipedia ? Ce n’est pas une vallée ça ? »

Mais quel genre de produit peut donc bien naître en un tel contexte « quasi-communard » ? Allez donc fureter à travers les pages de la Wikipedia [vii] pour voir. Wikipedia est né de la fusion des mots « wiki » et « encyclopedia ». C’est bien beau tout ça, mais c’est quoi un wiki, la version dislexique de « kiwi » ? Bien sûr que non voyons ! Ce mot, dérivé de « quick » en langue hawaïenne, désigne une technologie qui permet à tout visiteur d’une page Web de la modifier à son gré, en direct.

Imaginez que vous constatiez une erreur sur une page Web ou que vous aimeriez y apporter un complément d’information. Votre seul recours sera d’écrire au responsable de la page (si son adresse est affichée…) qui pourra ou non faire le changement souhaité. Pas sur un wiki, car ici vous n’aurez qu’à le faire vous-même, en temps réel. De ce principe, est né, en 2001, la Wikipedia, véritable encyclopédie universelle multilingue affichant désormais un contenu impressionnant (500,000 articles en 50 langues) et un taux de renouvellement respectable de près de 10 % de son contenu à chaque mois[viii]. Des erreurs peuvent évidemment s’infiltrer par la multiplicité des rédacteurs, mais les opérateurs misent sur les visiteurs suivants pour rétablir la situation. Et ça marche ! Il faut bien entendu faire preuve de discernement et aiguiser son sens critique, mais on s’y fait. Pourquoi pas s’y construire une belle section en droit notarial québecois ?

Allez les amis, à vos claviers et à la prochaine !




[i] http://creativecommons.org/

[ii] « Pas de recherche pour les chinois, pas de brevet pour les anglais ! », Entracte, octobre 2002. Les curieux pourront aussi lire l’article produit par l’auteur pour la revue National de l’Association du Barreau Canadien, « Des brevets dans les roues », chronique Cyberespace, mai 2002.

[iii] Pour une description de cette licence, voir notamment.

[iv] http://www.ibm.com/news/ca/fr/2005/01/011005_contribution.html

[v] Que nous vous avons déjà présenté je crois…

[vi] Attention cependant, le mouvement est américain et la conformité aux lois canadiennes applicables en la matière n’a pas été examinée dans la préparation de cette chronique.

[vii] http://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil

[viii] Allez voir par exemple la section consacrée au tsunami…

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