Archive des chroniques "Cybernotes de Bertrand Salvas", telles que publiées dans le magazine "Entracte"
de la Chambre des notaires du Québec et autres contributions en droit des technologies de l'information.

Novembre 2002 >>> La 4e conférence Internationale « Internet pour le droit »

C’est avec plaisir que je vous offre ce mois-ci une cybernote spéciale, entièrement consacrée à la 4e conférence Internationale « Internet pour le droit », organisée par LexUM et tenue à Montréal au début du mois d’octobre. Par mes fonctions au LexUM j’ai pu suivre de près l’évolution de ce projet depuis son origine, et participer à son déroulement. J’espère donc que j’aurai le recul nécessaire pour vous en rapporter quelques échos.

Où, qui, quand, comment, pourquoi...

Il faut l’admettre, les organisateurs[i] s’étaient fixé tout un défi : trois jours de conférence, 75 conférenciers ou présidents de séance, le tout présenté dans le magnifique Centre Mont-Royal en plein centre-ville. L’occasion devait être soulignée car cette conférence, déjà tenue trois fois en Australie, s’organisait pour la première fois en Amérique du Nord. Organiser l’événement n’était donc pas sans risque pour LexUM et IIJCan car s’il était à peu près certain que tous ses habitués du pacifique sud ne pourraient faire le voyage à Montréal, tous ignoraient en début de parcours combien de nord-américains s’y intéresseraient. Il faut donc souligner le courage et la confiance que les commanditaires, dont la Chambre des notaires du Québec, auront manifestée dès la première heure.

Le succès de l’événement devait finalement dépasser toutes les attentes de ses organisateurs. Près de 400 participants en provenance d’une bonne douzaine de pays  s’y sont inscrits: Canada, Etats-Unis, Europe, Afrique, Asie, Australie... Un franc succès quoi.

Par son déroulement et son contenu, la 4e conférence Internationale « Internet pour le droit » aura certes constitué un événement capital pour le monde juridique canadien. Probablement pour la première fois ici, des représentants des tribunaux, des gouvernements, des éditeurs officiels, des organismes privés et publics voués à la diffusion du droit ont pu discuter avec des pairs des quatre coins du monde, non seulement de questions techniques liées à la diffusion du droit, mais de ses impacts sur la société, l’industrie de l’édition ou le développement des pays émergeants. Pendant trois jours, Montréal aura été au carrefour de la diffusion du droit sur Internet. L’importance de l’événement aura d’ailleurs été soulignée par la présence de plusieurs acteurs importants de notre monde juridique comme M. Louis Borgeat, sous-ministre de la Justice du Québec, l’honorable Martin Cauchon, ministre de la justice du Canada ainsi que de plusieurs juges de tribunaux supérieurs canadiens, dont deux juges de la Cour suprême du Canada. L’honorable juge Bastarache de la Cour Suprême y a d’ailleurs prononcé une allocution lors du banquet.

Pour les notaires, de façon générale, le sujet avait de quoi intéresser quiconque tient au caractère public de la justice, à la libre circulation du droit et de l’information juridique et à l’usage des nouvelles technologies dans l’atteinte de ces objectifs. Plus spécifiquement, par des sujets comme « L'effet d'Internet sur la pratique du droit immobilier »[ii], le droit d’auteur sur les documents juridiques publiés sur le Web (procédures, requêtes et jugements et, pourquoi pas, actes notariés?), la diffusion de la législation et de la jurisprudence, les notaires y trouvaient également leur compte. Plusieurs membres de la profession et de la Chambre des notaires ont d’ailleurs assisté aux travaux ou en ont présidé une partie comme Me Pierre Ciotola, titulaire de la chaire du notariat à l’Université de Montréal. Sans oublier la participation, depuis les premiers jours, de la profession notariale au financement d’IIJCan, co-organisateur de la conférence. Je dois aussi à mon collègue Alain Roy de piétiner ma légendaire modestie pour mentionner que cette conférence a aussi servi de cadre au lancement de l’ouvrage collectif « Droit du commerce électronique », dans lequel se retrouve l’article que nous avons commis ensemble sur l’acte notarié électronique en droit québécois.[iii] Le notariat québécois a donc eu la place qui lui revenait.

Organiser un tel événement sur trois jours pour un public aussi varié que qualifié relevait de l’exploit. La solution retenue a donc été l’insertion, entre deux journées de présentations communes en séances plénières, d’une journée organisée en trois séries d’ateliers. Outre la première série exclusivement réservée aux juges et adjudicateurs, les deux autres permettaient aux participants de s’intéresser à des sujets plus pointus. Ainsi, des questions très particulières ou carrément techniques ont pu être abordées, sans délaisser les sujets d’intérêt plus général.

Il serait tout à fait illusoire de penser les couvrir tous ici. Certains d’entre eux pourraient constituer un sujet d’article à eux seuls, d’autres ont déjà été traités en ces pages comme la protection des renseignements personnels divulgués dans les jugements, le dépôt électronique ou encore la diffusion de l’information juridique sur Internet. Nous aurons l’occasion de revenir sur certains sujets qui y furent abordés. Mais voici néanmoins un survol des principaux sujets qui ont retenu mon attention pendant ces trois jours mis à part les questions d’organisation dont je vous ferai évidemment grâce!

La norme de rédaction des jugements

Plusieurs lancements, officiels ou officieux, ont eu lieu à l’occasion de la conférence. Outre celui du recueil en droit du commerce électronique dont nous avons déjà parlé et celui de la nouvelle collection d’IIJCan consacrée aux décisions arbitrales des arbitres québécois en droit du travail, le comité technologique du Conseil Canadien de la magistrature présentait la nouvelle version de sa norme relative à la préparation des jugements par les tribunaux canadiens.

Cette mise à jour de la norme précédente datant de 1996, se fonde sur l’expérience acquise depuis en matière de diffusion électronique pour actualiser certains éléments de présentation des jugements. Par exemple, en abandonnant les références au format de présentation des copies imprimées (ex. format lettre ou légal) et aux numéros de page pour plutôt se concentrer sur la numérotation des paragraphes, la nouvelle norme prend acte des contraintes propres à la diffusion en format numérique. Au fond, elle se contente de suggérer des éléments aptes à faciliter la diffusion et l’édition des jugements, tout en ignorant volontairement ceux qui ne se rapportent qu’à la présentation des impressions sur papier.

L’adoption d’une norme commune pour la préparation des jugements, identifiant par exemple d’une façon convenue les jugements contenant des informations sensibles ou devant être rendus anonymes avant toute publication, devrait faciliter et rendre plus économique pour tous la publication de la jurisprudence canadienne. Elle marque aussi le constat par la magistrature que l’avènement d’Internet lui impose d’ajuster ses pratiques. Prenons d’ailleurs aussi à témoin certains ateliers offerts aux juges et adjudicateurs, consacrés à l’écriture du droit à l’heure Internet. Le lancement de cette norme était un événement en soi, une étape importante pour l’ensemble de la communauté juridique canadienne.

Le dépôt électronique

Plusieurs ateliers ont été consacrés aux questions reliées au développement de systèmes intégrés de justice. Le dépôt électronique des pièces et actes de procédures des dossiers judiciaires, et leur accès possible sur Internet, est en effet la prochaine étape du développement de plusieurs tribunaux canadiens. Aussi ils font l’objet de beaucoup d’études et de discussion. De tels systèmes, déjà implantés aux Etats-Unis ou ailleurs, pourraient certes faciliter et accélérer le traitement des dossiers par les tribunaux et améliorer du coup l’accès à la justice.

Mais qui aura accès aux documents? Est-il possible qu’un trop large accès entraîne des abus et des intrusions dans la vie privée des personnes impliquées? Qui pourra utiliser de tels systèmes? Un particulier pourra-t-il encore se représenter lui-même s’il ne possède pas les outils technologiques nécessaires pour se connecter aux greffes électroniques? Certains invoquent même, à tort ou à raison, de possibles droits de propriété intellectuelle sur les documents produits en preuve. L’impression générale qui s’en dégage, ce n’est pas étonnant, est celle de la prudence dont il faudra faire preuve dans la mise en place de tels systèmes afin de ne pas modifier l’équilibre des relations existant entre les justiciables.

Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet manifestement trop vaste pour être liquidé en quelques lignes. Son importance est certaine pour le notaire oeuvrant en matières non contentieuses, mais aussi de façon générale car il soulève des questions tout à fait applicables par ailleurs au dépôt d’actes pour publication sous forme électronique ou pourquoi pas,  à un possible greffe électronique. C’est à suivre...

Dans le coin droit, la diffusion libre...

Il ne faut pas se le cacher, l’un des objectifs principaux de ces conférences est de fournir aux principaux protagonistes du mouvement de diffusion libre du droit l’occasion de se réunir, de se concerter sur ses solutions et ses méthodes, et de stimuler son développement. La 4e conférence n’a pas fait exception puisqu’elle a réuni les dirigeants des équipes de l ‘Université Cornell (dont le 10e anniversaire était souligné), et des sites d’Austlii (Australie), Bailii(Angleterre et Irlande), et CanLII/IIJCan (Canada). Elle a également permis à des représentants de plusieurs pays émergeants, notamment d’Afrique et des Caraïbes, de faire état de leurs ambitions et de leurs besoins en matière de diffusion du droit.  La France aussi, par l’entremise de M.Pascal Petitcollot, y présentait la nouvelle version de son site Légifrance sur lequel elle diffuse la presque totalité de ses documents juridiques.

La tenue de tels événements permet aussi de renforcer la coopération entre les différents instituts d’information juridique du monde. Par exemple, le système WorldLII mis sur pied par l’équipe d’Australie pour permettre de rechercher simultanément sur tous les sites de diffusion gratuite qui y participent, ou encore les échanges constants sur les solutions techniques ou éditoriales utilisées par chacun.

La présence dans un même lieux des principaux protagoniste du mouvement de diffusion libre, fondé sur le droit du public à l’accès complet et gratuit à tous les documents juridiques de base et a l’usage des nouvelles technologiques pour y arriver,  et de représentants des compagnies consacrées à l’exploitation commerciale des données juridiques allait-elle provoquer des étincelles? Les amateurs de conflits seront déçus, car tous ces intervenants se côtoient régulièrement et collaborent de différentes façons, notamment dans le développement de normes. Ce qui n’exclut pas toute forme de saine compétition, l’arrivée des uns bousculant les autres et les forçant à se renouveler.

Ainsi les éditeurs dits « privés » cessant d’être l’unique ressource de diffusion de la documentation juridique désormais gratuitement accessible au public sur IIJCan,  doivent plutôt redéfinir leur rôle par la valeur qu’ils ajoutent aux documents pour le bénéfice de leur clientèle spécialisée. Ils doivent maintenant démontrer aux juristes qu’ils peuvent leur faire sauver du temps par leur traitement de cette information de base afin de justifier leurs coûts d’abonnement. L’opération n’est pas toujours facile, mais il faut constater que la plupart y parviennent, et à meilleur prix qu’auparavant.

Quant à IIJCan, qui a dépassé le stade de la nouveauté dont il bénéficiait depuis son lancement, il doit de plus en plus oeuvrer à étendre ses collections et à améliorer son service afin de donner au grand public et aux juristes une ressource de base fiable et utile.  Comme vous le voyez, tout le monde a beaucoup de pain sur la planche!

Je devrai m’arrêter ici, pour ne pas causer trop de casse-têtes à mon éditeur... Vous conviendrez qu’il était à peu près impossible de couvrir la totalité de cet événement dans les quelques lignes qui me sont habituellement allouées. Même en « défonçant » à la Jean-Marc Parent, je ne crois même pas avoir de chances d’y arriver. J’espère au moins vous avoir transmis la satisfaction de tous ceux qui y ont participé.

En définitive, la 4e conférence internationale « Internet pour le droit » restera gravée dans la mémoire de ceux qui y ont assisté comme ayant offert un espace de discussion privilégié à tous ceux que la publication du droit sur le Web intéresse. Je profite de cette tribune pour remercier tous ceux qui ont participé à son succès, principalement les commanditaires qui ont cru au projet et qui ont permis qu’elle se réalise,  mais aussi tous les participants et présentateurs qui l’ont animée.

À la prochaine !


[i] Disons immédiatement que bien que toute l’équipe ait été appelée à mettre la main à la pâte, surtout à partir de la fin septembre, je n’ai pas directement participé à l’organisation de l’événement outre quelques discussions ou conseils. Je peux donc vanter les mérites de l’organisation sans trop faire violence à ma modestie.

[ii] Présentation de Me François Brochu, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval

[iii]En vente chez tous les bons libraires. Mais ne vous inquiétez pas pour les cybernotes. Les droits d’auteurs sur cet ouvrage ne me permettrontpas de prendre ma retraite... tout au plus de me payer quelques trios big-mac.

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