Archive des chroniques "Cybernotes de Bertrand Salvas", telles que publiées dans le magazine "Entracte"
de la Chambre des notaires du Québec et autres contributions en droit des technologies de l'information.

Septembre 2010 >>> "Bon loi, bad loi"

Quand une belle réforme en droit des affaires nous rappelle de vieux souvenirs...

Au risque d'être le premier à le faire, j'ai décidé ce mois-ci de souligner un anniversaire. Enfin... un anniversaire que nous ne fêterons officiellement que l'an prochain, alors que nous célébrerons dans l'allégresse le dixième anniversaire de l'adoption de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information (ci-après « Loi sur le cadre »). Mais il y a dix ans, nous étions déjà invité à examiner les avant-projets qui l'ont précédé et qui, il faut le dire, étaient plutôt tortueux et difficiles d'accès, ce qui n'a rien fait pour faciliter l'accueil du texte final.

Ainsi, mal introduite, la Loi sur le cadre a donc été accueillie dès le départ assez froidement et joui depuis d'un statut un peu spécial dans notre corpus législatif. Longtemps ignorée par la doctrine, tantôt violemment décriée par certains auteurs ou objet de simples survols rapides par d'autres, la Loi sur le cadre reste un peu en marge, comme si sa complexité la rendait si rébarbative qu'auteurs et praticiens tentaient de faire comme si elle n'existait pas...


Cachez cette loi que je ne saurais voir



Bien que cette loi ait apporté des changements importants aux règles du Code civil, elle n'a fait l'objet que d'une vingtaine de décisions de nos tribunaux depuis son adoption. Une seule a été prononcée par la Cour suprême... dont les juges ont d'ailleurs mal compris les dispositions. Mais enfin, là n'est pas l'objet de ma chronique de ce mois-ci, bien que je formule publiquement le souhait de voir apparaître quelques analyses sur l'impact réel de la Loi sur le cadre avant que l'on ne fête son vingtième anniversaire.

En fait, les bons souvenirs que je garde de la Loi sur le cadre m'ont été rappelés par l'arrivée d'une autre loi, la Loi sur les sociétés par actions (ci-après « LSA ») qui, sous peu, remplacera avantageusement notre bonne vieille loi sur les compagnies. Adoptée en décembre dernier, la LSA entrera en vigueur au moment déterminé par le gouvernement, probablement à la fin de 2010 ou au début de 2011. Or le moment d'entrée en vigueur de cette loi dépendra justement de questions technologiques, la LSA poursuivant également le virage mis en place par le gouvernement québécois en ce domaine avec la Loi sur le cadre. Voici comment.

Le but premier de la LSA est de moderniser et d'alléger le fonctionnement interne des sociétés par actions. Elle vise également à stopper la « migration » des gens d'affaires vers la loi fédérale, migration provoquée par la désuétude de la Loi sur les compagnies. Mais permettre aux sociétés québécoises de fonctionner dans un environnement de plus en plus technologique et au registraire des entreprises de tirer profit de la puissance des outils informatiques modernes demeure un objectif capital de la LSA. Un peu comme l'exercice mené au début des années 2000 au registre foncier, la LSA pave la voie au dépôt électronique, modernise le régime de la publicité des entreprises (en conjonction avec la nouvelle Loi sur la publicité légale des entreprises) et facilite l'emploi d'outils technologiques dans la régie interne des sociétés.


Du côté des sociétés
Assemblées d'actionnaires et réunions d'administrateurs pourront se tenir à l'aide de tout moyen permettant à tous les participants de communiquer immédiatement entre eux. La LSA respecte en ce sens l'esprit de neutralité de la Loi sur le cadre, préférant définir les buts qu'une technologie de communication doit atteindre plutôt que d'en désigner certaines de façon spécifique. Dans l'état actuel des choses, pourront alors se qualifier, par exemple, les appels conférences classiques, les vidéoconférences par webcam ou autrement (par « Skype » par exemple). Les actionnaires ou administrateurs qui participeront de cette façon aux activités de la société seront réputés présents à la réunion et pourront également exercer leur droit de vote de cette façon. Une société pourra cependant empêcher ou encadrer de telles pratiques dans ses statuts ou dans son « règlement intérieur » (successeur des règlements généraux sous la LSA).

La LSA règle aussi une problématique issue de la pratique du droit des affaires. En effet, les livres et registres des sociétés sont souvent conservés ailleurs qu'au siège de la société (chez leur notaire par exemple). Sauf disposition contraire, cette pratique sera permise par la loi.

Ainsi, la société qui conservera ses registres ailleurs qu'à son siège devra s'assurer tout d'abord que l'information contenue dans ces livres est accessible sur un support adéquat et qu'elle fournit l'aide technique nécessaire à la consultation de l'information.

En y regardant bien, la LSA régit « l'information » contenue dans ses livres et registres plutôt que simplement ces derniers en distinguant cette « information » de son « support ». Elle emploie donc un langage propre à la Loi sur le cadre qui définit le document comme étant « constitué d'information portée par un support ». De cette manière, la LSA ouvre la porte au livre de minutes électronique et à la tenue des registres des sociétés sur un support autre que le papier, selon les règles générales établies par la Loi sur le cadre.


Dépôt des documents



La LSA va cependant plus loin en permettant le dépôt de documents sur support technologique. Elle présume en effet qu'un tel document sera valable si l' « intermédiaire ou représentant de toute personne tenue de le signer » s'est assuré de l'identité et du consentement du signataire. La porte est donc ouverte au dépôt électronique de tous documents ou rapports sur déclaration, oserons-nous dire « d'attestation », par un intermédiaire ou représentant autorisé. Nous remarquons également l'usage de l'expression « document transmis sur un support faisant appel à la technologie de l'information », propre à la Loi sur le cadre, indiquant la volonté claire du législateur de se rattacher à cette loi pour la gestion et l'interprétation de toute situation liée aux technologies de l'information.

Un tel changement viendra à coup sûr modifier et moderniser la pratique du droit des affaires et confirme encore, si besoin était, le caractère incontournable du virage technologique.

À la prochaine!

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